29 septembre 2023

Un PIB à l’équilibre

Chronique de Marius Gilbert, Le Soir du 24/09/2023

Le bien-être de l’humanité et sa sauvegarde ne pourront plus être assurés si l’on persiste à réclamer et à viser toujours plus de croissance. Assurer le maintien et la constance d’un certain niveau de développement humain doit représenter un objectif majeur.



C'est un fait bien connu des experts de la communication et du marketing, les mots et l’imaginaire auxquels ils renvoient ont une influence dont on ne mesure pas toujours la portée inconsciente.

Prenons le terme de « stagnation » et saisissons-nous d’un dictionnaire des synonymes : arrêt, marasme, inertie, apathie, paralysie, léthargie… difficile de trouver un terme qui renvoie à quoi que ce soit de souhaitable. Considérons à présent le mot « équilibre » et c’est un cortège d’évocations positives que l’on découvre : stabilité, assurance, assise, constance, continuité, permanence, accord, contrôle…

Pourtant, l’usage veut que lorsque l’on parle du produit intérieur brut (PIB) d’un pays qui reste constant dans le temps, on utilise le terme de « stagnation » plutôt que celui « d’équilibre ». Nous avons tellement intériorisé l’idée que la croissance économique soit associée au progrès que le terme employé pour en désigner la constance renvoie à la paralysie.

Il est vrai que pendant longtemps, l’accroissement des richesses était effectivement associé aux progrès. Et dans de nombreux pays pauvres ou en transition, les dernières décennies ont vu des millions de personnes sortir de l’extrême pauvreté ou améliorer leurs conditions de vie. Mais ce n’est plus le cas partout et cela n’a rien d’une règle générale.

Prenons les 20, 30 dernières années aux Etats-Unis. Le PIB n’a cessé d’augmenter, mais du fait de l’augmentation des inégalités, les différents indicateurs de pauvreté stagnent ou sont en hausse. Au niveau individuel, c’est une observation intuitive, mais qui se vérifie lorsque l’on analyse de manière quantitative sur de très larges cohortes, la corrélation entre augmentation des revenus et bien-être n’existe que jusqu’à un certain niveau. 

Ce constat est accentué si l’on intègre la dimension environnementale. Dans des économies encore largement basées sur la production de biens et de services très consommateurs d’énergie et de matières non renouvelables, un PIB en croissance rapide ne peut se traduire autrement que par un impact préoccupant pour les écosystèmes, et, à terme, pour nos conditions de vie. A l’échelle de plusieurs générations, et en raison de son impact environnemental, l’utilisation de termes comme « explosion », « surrégime », « surchauffe », ou « fièvre » pour décrire l’augmentation du PIB semblerait parfaitement indiquée.


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01 septembre 2023

Ne laissons plus régner les écocidaires (carte blanche / Le Soir du 25-08)




En 2018, la Belgique a connu l’été le plus chaud de son histoire et l’émergence d’une mobilisation citoyenne historique pour le climat. La pandémie a eu raison de cet élan démocratique.

En 2023, qu’est-ce qui a changé ? Rien, ou presque. La situation n’a fait qu’empirer, faute de mobilisation citoyenne et faute d’action politique. Une pandémie, des inondations historiques, une guerre sur le sol européen, une crise énergétique mondiale et la montée de tous les fascismes, toutes ces causes et ces conséquences sont aggravées par l’écocide planétaire, lui-même dû à l’absence de transition écologique juste. Les inégalités augmentent, la démocratie est en péril, nous détruisons l’habitabilité de notre planète. Nous ne faisons pas ce qui doit être fait pour éviter le pire, et nous ne sommes pas prêts à affronter ce que nous ne pouvons déjà plus éviter.

Les touristes aisés, qui prennent l’avion par millions vers la Méditerranée, sont punis de leurs émissions de CO2, par une forme étrange de revanche climatique. Mais tandis que certains voient leurs vacances gâchées, d’autres meurent. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous retrouver dans des conversations quotidiennes où personne n’ose évoquer les catastrophes, prononcer le mot « climat », ou faire le lien avec notre usage massif de combustibles fossiles, notre alimentation industrielle, notre mobilité perpétuelle, nos logements mal isolés, notre surconsommation. Une impression de folie s’empare de nous. Jamais les écologistes et activistes n’ont subi de telles mesures de rétorsion, y compris dans les démocraties. Le déni se transforme en haine ou en cynisme. 

Combien de journalistes qui réalisent des reportages sur les catastrophes climatiques parlent « d’événements météorologiques extrêmes » mais n’évoquent pas systématiquement le réchauffement climatique ni sa cause humaine ni le lien fondamental avec l’usage massif du pétrole, du gaz et du charbon et la déforestation dans nos économies, ni la responsabilité écrasante des industries pétrochimique, automobile, agroalimentaire, de la construction, de la distribution, de la publicité, du digital, du tourisme de masse ? Combien relient cet usage fossile à notre système économique capitaliste, croissantiste, néolibéral et la surconsommation de masse dans nos pays riches ? Le focus sur « les émissions » nous empêche d’avoir une lecture politique du réel. On ne peut pas stopper une hémorragie en regardant le sang couler, il faut opérer les organes.

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