Pourquoi nous ne faisons rien face au réchauffement climatique
Une opinion de Max Lower, biologiste et historien de la philosophie
Notre prostration face au changement climatique peut s’interpréter à partir d’une légende amazonienne relatée par le sociologue Eduardo Kohn. Petit indice : cette légende ne se termine pas bien du tout.
Quelle étrange apathie s’est emparée de nous tous, tandis que nous sommes occupés à décrire notre fin. Sujet encore lointain, hypothétique et controversé il y a seulement un ou deux ans, le réchauffement climatique et la dégradation de la biosphère sont devenus une réalité qui se déroule sous nos yeux, déversant son fluide entropique sous forme de vagues de chaleur, de flux migratoires et de fonte des glaces.
Mais rien ne semble pouvoir arrêter ce spectacle fascinant, pas même les grandes messes internationales où des responsables s’engagent solennellement, et qui ne font qu’entrecouper notre quête effrénée de croissance, d’emploi, de pouvoir d’achat, de profit. Entre incrédulité et défaitisme, c’est partout la même incapacité à prendre en compte cette planète complexe et vivante, qui nous a pourtant faits tels que nous sommes et nous maintient dans la vie. Jusqu’à présent.
Perte de l’âme
Une légende du peuple runa d’Amazonie évoque de façon frappante la situation où nous nous trouvons. Le récit de cette légende apparaît dans un livre intitulé "Comment pensent les forêts"(1), de l’anthropologue Eduardo Kohn. Comme tant d’autres peuples qui ont résisté à la dissolution dans la modernité, les Runa vivent dans la crainte de se faire dérober ou "dévorer" leur âme, c’est-à-dire de perdre cette sorte d’agilité propre aux vivants, qui les rend attentifs aux autres êtres peuplant leur environnement. L’amoindrissement ou la perte de l’âme, c’est donc le risque de devenir indifférent à cette toile relationnelle sur laquelle émerge la vie comme la pensée. C’est pourquoi Eduardo Kohn ancre son anthropologie dans une "écologie des sois".