Laurence Dardenne
Des sauterelles dans nos assiettes, des brochettes de criquets grillés, de la tapenade de grillons, un toast à la mousse de chenille ou, de manière plus générale, des insectes dans notre alimentation : rêve ou réalité dans un proche avenir?
Des sauterelles dans nos assiettes, des brochettes de criquets grillés, de la tapenade de grillons, des barres hyperprotéinées aux vers de farine, un toast à la mousse de chenille ou, de manière plus générale, des insectes dans notre alimentation : rêve ou réalité dans un proche avenir ?
A l’unité d’entomologie de Gembloux Agro-Bio Tech/ULg, qui bénéficie d’une renommée internationale dans ce domaine, on ne se pose plus vraiment la question. Alors qu’une spin-off spécialisée dans la production industrielle d’insectes est en cours de création, cela fait plus d’une dizaine d’années maintenant que des recherches sont menées pour voir comment élever des insectes et valoriser cette nouvelle alimentation, mettre au point des formulations variées, ou encore étudier comment dépasser les barrières socio-culturelles. En l’occurrence la répulsion que l’on éprouve le plus souvent en Occident à l’idée d’avaler ces bestioles.
Pourtant, l’entomophagie, qui désigne la consommation d’insectes, certains y croient dur.
Pour Eric Haubruge, vice-recteur de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège), "nous nous trouvons actuellement à un tournant où il faut songer à changer notre mode d’alimentation. Et l’insecte est une piste à prendre au sérieux pour diverses raisons. A commencer par l’intérêt des valeurs nutritives : il s’agit en effet d’une source importante de protéines, notamment (voir par ailleurs)".
"L’insecte constitue une intéressante alternative à tout ce qui est nourriture à base de viande. C’est un élément déterminant", souligne encore Eric Haubruge. Alors qu’en 2050, la Terre devrait nourrir 9 milliards d’êtres humains, soit 30 % d’individus en plus qu’aujourd’hui, "cette augmentation correspondra inévitablement, à l’échelle mondiale, à des besoins accrus au niveau de la production en protéines animales".
Par ailleurs, "au niveau de la sécurité alimentaire, l’insecte est tellement éloigné de la vache, du cochon ou du bœuf que le transfert de maladies est tout autre,poursuit l’entomologiste. De ce fait, les possibilités de trouver un virus d’insecte transmissible à l’homme sont nettement moindres."
Des élevages belges de vers de farine, de grillons, de criquets, de sauterelles
Les arguments ne manquent pas, mettant en évidence les avantages de cette nouvelle alimentation, du moins pour les Occidentaux. L’Europe reste le seul continent à ne pas consommer régulièrement des insectes. Nous avons seulement une vingtaine d’espèces consommées en Europe alors qu’en Afrique, on compte quelque 400 espèces couramment consommées. Or, "en Belgique, on peut faire de l’élevage de vers de farine, de grillons, de sauterelles, de criquets ,assure le Pr Haubruge. On peut donner à tous ces insectes des nourritures contrôlées en termes de qualité nutritionnelle, comme des résidus de son ou de la levure en paillettes, dont on contrôle parfaitement la qualité pour la consommation humaine et qui ne représentent pas un coût trop élevé, dans la mesure où ce sont des résidus de production alimentaire humaine. Cela évite donc le problème des risques éventuels pour la santé et l’on maîtrise parfaitement cette production et le savoir-faire. On peut facilement élever ces insectes en hiver. Il faut généralement deux mois pour obtenir une nouvelle génération, ce qui signifie six générations par an, et donc une production assurée."
Dans les prochains mois, doit intervenir une autorisation européenne au niveau de l’utilisation d’insectes dans la consommation humaine. "Dès que nous aurons cet agrément, cela rentrera dans notre alimentation. C’est une question de mois", assure encore le spécialiste.
"En Belgique, nous disposons de modèles d’insectes utilisables et valorisables comme les vers de farine ou les grillons, nous explique pour sa part Frédéric Francis, professeur et responsable de l’unité d’entomologie (ULg). Nous avons tout a fait les moyens d’en produire en masses. On parle ici en termes de dizaines de tonnes de production par an."
Encore faut-il trouver les moyens de les valoriser. "C’est là qu’il faut être très attentif, intervient Eric Haubruge. Nous avons une démarche de formulation de complément alimentaire. Chez nous, en Europe, cela n’a aucun sens de proposer des insectes tels quels, en entier. En revanche, les associer sous forme de poudre ou de tapenade à d’autres aliments permettra de faciliter l’intégration dans notre alimentation."
"Nous travaillons avec des collègues des technologies alimentaires pour voir comment faire du fractionnement, renchérit Frédéric Francis. Comment obtenir des concentrés en protéines, extraire les matières grasses et trouver des formulations pour produire, par exemple, des barres hyperprotéinées ou des préparations pour des farines de pain. Il existe un volet agroalimentaire où l’on travaille sur des moyens de remplacer des aliments plus communs par des insectes."
Des dégustations à l’insectarium
Enfin, un autre axe important des recherches se concentre sur l’aspect socio-culturel : comment faire accepter cette idée, passer outre le dégoût, voire la phobie des insectes ? C’est ainsi que, chaque année, au mois d’octobre, est organisée à l’insectarium de Waremme, qui est une antenne de Agro-Bio Tech (ULg), une quinzaine de l’entomophagie où les visiteurs sont invités à déguster des insectes. Ils reçoivent également des questionnaires portant sur les raisons de l’attraction ou de la répulsion qu’ils éprouvent pour ces animaux. "Lors de ces dégustations, nous proposons les insectes que nous avons élevés : diverses espèces de vers de farine (ténébrions) et de grillons, poursuit le responsable de l’unité d’entomologie. Nous faisons aussi des essais avec des criquets et des sauterelles. Lors des dégustations, nous préconisons de les manger en entier, même s’ils peuvent aussi être incorporés dans des mayonnaises, des cakes, des barres hyperprotéinées "
"Le courant a déjà commencé à changer, il y a trois ou quatre ans, chez nous, d’après Eric Haubruge. Avant, lorsque l’on organisait des dégustations, les visiteurs étaient très réticents. Rares étaient ceux qui osaient goûter. Quand on leur dit que ce n’est pas très différent d’une crevette, certains se lancent. Depuis peu, ils sont plus affranchis et se demandent par quel mets ils vont commencer. Le plus souvent, ils sont agréablement surpris." Ce qu’ils aiment ? "Le goût noisette du ver de farine ou marron grillé, sucré, caramélisé , Avec le criquet, on retrouve un goût de peau de poulet rôti, nous disent ces connaisseurs . La meilleure appétence, ce sont les termites; ils ont vraiment du goût ! Et les fourmis aussi "