L’intensification maximale est atteinte avec la riziculture, fréquente dans les vallées, plaines et deltas de l'Asie des moussons. Le riz, à condition de lui fournir l’eau nécessaire peut, en effet, donner des rendements remarquables. Cependant, dans le monde tropical, une grande partie des champs de riz ne bénéficient que des précipitations de la saison des pluies, le paysan essayant par tous les moyens de capter et de retenir l'eau (construction de diguettes autour des champs). Ces techniques rudimentaires et cette riziculture pluviale ne permettent pas des rendements élevés.
Un pas important est franchi avec l'utilisation de la crue des rivières, lors de la saison humide. Le long de certains grands fleuves asiatiques ou encore dans le delta du Mékong, le paysan sème des riz « flottants » à croissance rapide, à l'amorce de la montée des eaux. Le succès dépend largement du niveau de la crue : l'excès est aussi préjudiciable que le manque d'eau. Or, d'une année à l'autre, l'ampleur de l'inondation est très irrégulière. Les agriculteurs, et en particulier ceux des deltas de l'Asie du Sud-Est , ont parfois tenté de la contrôler en construisant des digues pour régler le débit de l'eau. Néanmoins, même dans ce cas, les catastrophes ne sont pas exclues (rupture de digues à la suite de crues violentes ou, au contraire, retard et insuffisance de l’inondation).
Cette riziculture de « submersion » ne doit pas être confondue avec l'agriculture irriguée surtout pratiquée dans certains deltas de l'Asie du Sud-Est. Il s'agit, d'une part, d'apporter à la plante , lors de la saison des pluies, un complément pour obtenir les rendements les plus élevés et d'autre part, de pratiquer des cultures lors de la saison sèche. Plusieurs techniques sont possibles : recours à la nappe phréatique (puits et système de levage), construction de petits réservoirs utiles lors de la saison des pluies pour régulariser l'apport d'eau, mais souvent vides le reste de l'année, édification de barrages sur les rivières, la retenue créée étant accessible en toute saison. Il est alors possible d'envisager une récolte d'hiver. La double culture sur la même parcelle - par exemple riz en été, blé en hiver - permet ainsi un notable accroissement des rendements.
La maîtrise de l'eau exigeant des espaces plats, les images montrent toujours une opposition entre les fonds, minutieusement mis en valeur, chaque pouce de terrain étant utilisé — parcelles minuscules entourées de diguettes, village blotti sur un tertre — et les pentes, domaine des cultures sèches, ou de la forêt, à moins qu'elles ne soient découpées en terrasses et consacrées elles aussi à la riziculture grâce à un ingénieux système d'irrigation. L'intensification résulte aussi d'un labeur humain considérable et de pratiques culturales proches du jardinage : aplanissement de la rizière, préparation minutieuse des sols par plusieurs labours, repiquage du riz semé préalablement en planche dans une pépinière, recours aux engrais végétaux et humains, élimination systématique des mauvaises herbes, chasse aux parasites et aux oiseaux. Dans le cadre de petites exploitations, tout doit être consacré à la nourriture des hommes. L'élevage occupe une place réduite à l’exception de l'aviculture, de l'élevage porcin et de l’entretien de quelques animaux de trait pour le labour.
C'est que la riziculture irriguée alliée à la double culture permet, grâce à des rendements inconnus dans les autres pays du Tiers Monde, des densités exceptionnelles, à vrai dire les plus élevées de la planète. Dans les plaines littorales ourlant le Dekkan, au Bengale, à Java, au Vietnam, plusieurs centaines d'habitants au km2 ne sont pas exceptionnels. Il serait cependant erroné d'établir une corrélation systématique entre plaine asiatique et forte densité. Certains bas pays mis en valeur plus tardivement, selon des procédés moins intensifs portent des densités, certes soutenues, mais nettement plus faibles (delta de l'Irrawaddy en Birmanie, de la Chao Paya en Thaïlande).
DIRY J.- P., Les espaces ruraux, Paris, SEDES, 1999, p. 93.
« … Dans cette partie du monde, la rizière donne une double récolte annuelle. Ce deuxième élément du dessin suppose trois préalables ressortissant à la nature. D’abord, le climat tropical humide, avec ses fortes chaleurs générales et l’existence d’une courte saison fraîche. La basse plaine alluviale ensuite, dont la forme résulte des lois géomorphologiques. La tectonique de l’Asie enfin, qui fit surgir, à l’amont des plaines du Vietnam, les hautes montagnes fournisseuses d’alluvions.
… La démographie contemporaine joue son rôle. Cinq très gros villages entourent la ville fantôme. Ils sont redoutablement proches les uns des autres et la densité moyenne atteint 300 à 400 habitants au kilomètre carré. Notons au passage que la densité de population est liée en partie à l’ancienneté du peuplement, mais aussi à la politique du gouvernement et au système économique… Malgré les évolutions récentes, l’économie de cette région reste fondamentalement agricole. Avec de très hauts rendements (ce qui permet de nourrir beaucoup d’hommes) et une productivité médiocre (ce qui exige une abondante main-d’œuvre vivant sur place). D’où une sorte d’équilibre instable entre le poids du nombre, l’emprise des traditions, le fonctionnement de la machine productrice et les exigences de l’Etat. »
« Art ou bien science ? Un géographe témoigne », J-P Allix,
In GEO, n°236, octobre 1998, p.180