Posté sur Avant l'orage
Ecrit par Camille Etienne
Le tourisme épuise le monde, on le sait. Sa critique radicale reste compliquée, tant il imprègne nos imaginaires depuis 1936. Aujourd’hui, certains s’en détournent et réinterrogent la notion de temps libre.
L’été, les congés payés, le départ en avion ou en voiture, les journées qui s’étirent les doigts de pied enfouis dans le sable chaud d’une plage indonésienne ou aquitaine ou engoncés dans des chaussures de randonnée pour un trek dans les grands parcs américains… Vision de rêve ou fantasme éculé et désormais repoussoir ? Depuis plusieurs années, des voix s’élèvent de plus en plus nombreuses contre les dégâts environnementaux et sociaux du tourisme de masse. Reste à savoir si l’image d’Épinal du départ en vacances, pour une destination lointaine de préférence, peut évoluer.
Mais avoir du temps libre ne suffit pas pour déclencher des envies de départ. Cette aspiration a été favorisée par plusieurs facteurs, dont l’effet d’imitation des classes sociales supérieures mis en évidence par l’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen. Le sociologue Pierre Périer, qui s’est intéressé aux vacances des classes populaires, en évoque un autre : « L’État et les organisations syndicales ont eu le souci d’encadrer ce temps pour que les ouvriers ne cèdent pas à l’oisiveté et au vice. Des organisations ont été mises en place, telles que les patronages, avec des séjours visant à favoriser l’intégration et la socialisation des familles. » En parallèle, les Trente Glorieuses (1945-1975) ont été marquées par l’élévation du niveau de vie, qui a favorisé les départs y compris pour les plus modestes, et la montée en puissance de l’industrie touristique avec le soutien de l’État – création du Club Méditerranée en 1950, mission Racine d’aménagement du littoral languedocien de 1963 à 1983, plans neige de 1964 à 1977, etc. Et tant pis si chaque année près de la moitié des Français ne partent pas en vacances, dont les deux tiers pour des raisons économiques : « Tout cela a imposé le départ comme une norme sociale très puissante », observe le chercheur.
Sauf que ce modèle du tourisme de masse craque de partout. En 2019, 1,5 milliard de touristes ont parcouru le monde, contre 25 millions en 1950. Le bilan écologique de cet essor est catastrophique. Le tourisme représentait 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2013 – quatre fois plus que les estimations précédentes. En 2018, plus de la moitié des touristes internationaux qui ont franchi une frontière l’ont fait en avion. Le tourisme favorise aussi l’artificialisation des sols, la spéculation immobilière, la gentrification, la surconsommation d’eau et la pollution. Ceci, partout dans le monde, de l’île de Bocaray aux Philippines fermée six mois en 2018 pour venir à bout des conséquences désastreuses de la surfréquentation touristique, aux littoraux français envahis de résidences secondaires et aux dunes dévastées par les touristes. 52 % des détritus polluants la Méditerranée proviendraient du tourisme balnéaire des seuls États membres de l’Union européenne. Les montagnes n’échappent pas au carnage, couvertes de remontées mécaniques, de canons à neige et de retenues collinaires pour maintenir le tourisme « tout ski ».
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