26 avril 2020

"Il va falloir du courage politique pour éviter les vieilles ficelles"


Pour réfléchir à la période qui succédera à la crise du coronavirus, franceinfo donne la parole à des intellectuels, experts et activistes. Premier grand entretien avec Valérie Masson-Delmotte, climatologue et coprésidente du groupe n°1 du Giec.



Extraits choisis...


Il y a quelques jours, vous avez déclaré chez nos camarades de franceinfo TV que "cette pandémie était liée à la destruction des habitats naturels". Pouvez-vous développer ?

Je ne suis pas du tout dans mon domaine de compétence. Mais je peux préciser que les rapports précédents du Giec avaient un angle qui portait sur les interactions climat-environnement-santé. Les angles spécifiques pris étaient les suivants : dans le rapport sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C, nous abordions la manière dont la qualité de l'air va jouer en termes de santé publique. La dégradation de la qualité de l'air est liée à des composés qui agissent également sur le climat, parfois des coproduits quand on brûle du pétrole, du charbon, du gaz, du bois…

Par exemple, la notion de santé planétaire, sur le fait que la santé humaine va aussi dépendre de la santé des écosystèmes et de l'état du climat, ou bien l'angle one health, qui fait le lien entre la santé humaine et la santé animale, y compris des animaux d'élevage, et la santé des écosystèmes.
Ce mode de développement contribue à poursuivre les rejets de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique et de l'ensemble de ses conséquences, y compris l'intensification d'événements extrêmes comme les vagues de chaleur dont nous savons très bien qu'elles posent des problèmes en matière de santé humaine.



Vous racontiez aussi, dans un récent interview, que chez vous, vous entendiez à nouveau le chant des oiseaux avec l'arrêt de l'aéroport qui se trouve non loin. Cette crise est dramatique d'un point de vu sanitaire, social, économique mais est-ce qu'elle a au moins une conséquence positive sur l'environnement ?

La baisse d'émissions associée à l'arrêt forcé de toute activité industrielle, économique et de transport, ce n'est pas du tout cela dont nous parlons quand nous parlons de l'action pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, renforcer la résilience de nos sociétés ou réduire la pression sur les écosystèmes.

Nous ne parlons pas du tout d'arrêter les choses de manière forcée. Nous parlons d'utiliser toute l'innovation technologique et sociale, toute l'intelligence collective pour agir sur la manière dont nous produisons les choses et nos choix de consommation, de sorte à réduire, de manière importante, tenace dans la durée, les pressions que nous exerçons sur l'environnement tout en nous permettant de vivre mieux, de vivre dignement. C'est très différent, il ne faut surtout pas faire de confusion par rapport à la situation actuelle.
Une de vos collègues me demandait hier quel était le mot que j'associais à la situation de crise actuelle. Je me suis vraiment posé la question et je crois que le mot que je voudrais utiliser est celui de fragilité. C'est délibéré, c'est le contre-pied du vocabulaire guerrier, du mot de résilience, qui veut dire que nous prenons des chocs, que nous nous reconstituons et que nous allons au-delà du choc. Je pense que nous avons aussi besoin de voir la fragilité de nos sociétés. Nous ne sommes pas tous égaux devant cette crise sanitaire, nous ne serons pas égaux devant la crise économique et financière. Il y a des choses qui vont être exacerbées par rapport à la crise actuelle et à ses conséquences.

C'est le même enjeu par rapport au changement climatique. C'est important de regarder en quoi nous sommes vulnérables et exposés. C'est important de voir comment nous pouvons construire une stratégie ambitieuse d'action pour renforcer la résilience de nos sociétés, pour construire un développement qui permette à tous de vivre dignement, avec des emplois non délocalisables et qui ont un sens, tout en réduisant régulièrement, fortement les émissions de gaz à effet de serre.

Avant de parler de l'après-crise, je voudrais que nous prenions quelques minutes pour bien poser les bases du problème qu'est le réchauffement climatique. Aujourd'hui, où en est-on par rapport à ce problème, comment vous résumeriez la situation ?
Par rapport au changement climatique, nous émettons massivement des gaz à effet de serre, qui ont des caractéristiques différentes. Certains ont un effet sur le temps long, d'autres ont un effet plus éphémère. En ajoutant ces gaz à effet de serre, nous empêchons une partie de la chaleur de la Terre de partir vers l'espace et le climat lui-même réagit à cette perturbation avec des facteurs amplificateurs. L'évolution actuelle du climat, le réchauffement de 1 °C qui est observé, ne s'explique que par l'influence humaine sur le fonctionnement des grands équilibres planétaires.
Il y a donc une partie qui est inéluctable, il va falloir faire avec. Mais l'évolution future du climat va dépendre profondément de deux choses : notre capacité à réduire les émissions de CO2, parce que ce gaz à effet de serre a un effet cumulatif. Ce qui va faire le réchauffement à venir, c'est la somme des émissions de GES passées, actuelles et à venir, c'est quelque chose que nous nous passons entre générations. Si nous voulons que le climat se stabilise par la suite, il faut engager délibérément une baisse de ces émissions de CO2 en agissant sur tous les leviers d'action possible.

Un plan de relance, par exemple, qui miserait sur une reprise d'une croissance non-stop du trafic aérien, ou bien sur des véhicules type SUV qui ont une grosse consommation de carburant est quelque chose qui va en sens orthogonal à ce que serait une action pour maîtriser l'impact du transport sur les émissions de gaz à effet de serre. Nous pourrions contenir une partie de la demande sur les voyages aériens, nous pourrions aussi avoir des véhicules beaucoup moins consommateurs, plus légers, électriques ou hybrides qui baissent fortement la consommation et les émissions de gaz à effet de serre.



16 avril 2020

Les humains doivent cesser de "mépriser" la nature





C’est en 1960 que le Dr. Jane Goodall a posé le pied pour la première fois dans ce qui est maintenant connu comme le Parc National de Gombe Stream, où elle débuta ses recherches novatrices sur les chimpanzés sauvages. Elle n’avait alors que 26 ans. Son projet de recherche ne ressemblait à aucun autre et nous a tellement enseigné sur nos plus proches cousins dans le royaume animal.


C'est le "mépris" de notre environnement qui a causé la crise du Covid-19, estime Jane Goodall, 86 ans, primatologue britannique qui a voué sa vie à la défense des animaux, notamment les chimpanzés, et de l'environnement. Mais il est temps d'apprendre de nos erreurs et tenter d'éviter de futures catastrophes, plaide-t-elle.

Comment percevez-vous cette pandémie ?
Jane Goodall : C'est notre mépris pour la nature et notre manque de respect pour les animaux avec lesquels nous devrions partager la planète qui ont causé cette pandémie, qui avait été prédite de longue date. Car à mesure que nous détruisons, par exemple la forêt, les différentes espèces d'animaux qui l'habitent sont poussées en proximité forcée et des maladies passent d'un animal à un autre, et un de ces animaux, rapproché par force des humains, va probablement les infecter.
Ce sont aussi les animaux sauvages chassés, vendus sur des marchés en Afrique ou en Asie, notamment en Chine, et nos élevages intensifs où nous parquons cruellement des milliards d'animaux, ce sont ces conditions qui donnent l'occasion aux virus de faire le saut entre les espèces vers les humains.